Réappropriation de ma propre sensibilité
Assez bon élève et passablement bien élevé, j’ai peut-être trop clairement entendu les messages relayés par mon entourage et mes enseignants, indiquant tout ce qui était bon pour moi (et suggérant d'éradiquer ce qui ne l'était pas), et précisant ce qu’il fallait faire ou pas pour trouver ma 'bonne et juste place' dans la vie et la société.
Je me suis donc simplement contenté de suivre la voie qui m’était tracée, dans un chemin bien battu, passant par des études studieuses et un peu longues...
J’ai essentiellement fait ce que l’on attendait de moi.
Bien sûr, cela signifiait mettre de côté tout ce qui pouvait être déviant ou gênant, lisser les singularités individuelles dérangeantes.Il me fallait bien comprendre que quand on m'appelait "l'artiste" à 10 ans, c'était uniquement pour fustiger un travers qu'il convenait de rectifier. C’était, entre autres et dans les faits, appliquer avec rigueur des consignes explicites et rassurantes. D’ailleurs, mon métier (d’abord dans la Sûreté Nucléaire) nécessitait beaucoup de cette rigueur, et j’en étais plutôt fier.
Il m’a fallu un choc personnel démesuré pour que je commence progressivement à me questionner sur le bien-fondé de cet équilibre si évident, mais dont j'ai commencé à percevoir obscurément les côtés artificiels et lénifiants...
Petit à petit, j’ai distingué certaines réalités qui m'ont perturbé. Par exemple : j’effectuais mon travail, plutôt bien, mais je ne le vivais pas... En réalité, je faisais, mais je n’étais pas, ... ou si peu.... Je me suis progressivement convaincu qu'il me fallait abandonner mes certitudes et mon confort.
Après une première période de « reconstruction », j’ai commencé à envisager sérieusement de tenter de "me retrouver" sur mon chemin personnel. Je suis passé par une démarche de redécouverte et de réappropriation de ma propre sensibilité.
Ceci s'est fait par le truchement de la création artistique et d'une extension de mes intérêts culturels vers l'orient (énergétique chinoise en particulier), à son rythme, sans trop de brusquerie.
Aujourd'hui, je revendique clairement mon statut d'artiste.
J'arrive assez régulièrement, quoiqu'avec les difficultés que certains pourront imaginer, à débrancher mon intellect particulièrement vivace et mon mental très tenace, à sortir des ornières où j’ai passé une grande partie de ma vie antérieure.
Surtout, je parviens le plus souvent à laisser libre cours à ce que je ressens devant un modèle vivant en mouvement, pour l’imprimer dans la glaise afin que cela reste vivant et sensible dans la sculpture finie.
Aujourd'hui, j'ai la conviction que cet équilibre normalisé, qui me semblait tout d'abord acceptable quoique seulement un peu artificiel, est en vérité insidieusement mortifère. Je commence à percevoir plus clairement la nécessité vitale du respect des sensibilités, en particulier dans la dimension artistique recelée par chacun.
Je prends un grand plaisir à essayer de réveiller cette sensibilité chez ceux qui n'en ont plus conscience.